Recours abusifs au CDD : Bilan sur les décisions

Recours abusifs au CDD, bilan des décisions avec l'article de Pierre Rodier, avocat généraliste et spécialiste de la fonction publique.

Dans une précédente chronique nous avions évoqué une décision rendue le 20 mars 2017 par le Conseil d’Etat suite aux recours abusifs au CDD.

Le juge administratif, saisi par un agent non titulaire dont l’engagement avait été renouvelé pendant 11 ans avant qu’il ne soit « remercié », avait considéré que le non renouvellement intervenu n’était pas, en lui-même irrégulier.

Il précisait cependant qu’il existait, en cas de renouvellement abusif de contrat à durée déterminée, un droit à indemnisation du préjudice éventuellement subi lors de l’interruption de la relation d’emploi, évalué en fonction des avantages financiers auxquels il aurait pu prétendre en cas de licenciement s’il avait été employé dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée.

Conseil d’Etat : 20 mars 2017 n° 392792

Restait à attendre les applications concrètes de cette jurisprudence du Conseil d’Etat, en réalité, entamée avec un arrêt du 20-03-2015 n°371664 ;

Conseil d’Etat : 20-03-2015 n°371664 

Rappel des critères retenus par le Conseil d’Etat en cas de recours abusifs au CDD :

Dans la décision du 20 mars 2015, le Conseil d’Etat fixait les critères, non exhaustifs, permettant de considérer que l’on était face à un abus de recours au CDD de la part de l’employeur :

  • la nature des fonctions exercées ;
  • le type d’organisme employeur ;
  • le nombre et la durée cumulée des contrats en cause ;

Applications :

Cour Administrative d’Appel de LYON ;  6ème chambre – formation à 3 n° 15LY01064 ; 22 octobre 2015

-1- Dans cette même affaire, la Cour administrative d’appel de Lyon, dans son arrêt après renvoi, a énoncé, reprenant les critères dégagés par le conseil d’Etat pour caractériser l’abus, que l’agent évincé avait exercé « en qualité d’agent d’entretien au sein de l’institut médico-éducatif de Saint-Georges-sur-Baulche entre le 5 novembre 2001 et le 4 février 2009 ;  si ces fonctions ont été exercées en remplacement d’agents indisponibles ou autorisés à travailler à temps partiel, elles ont donné lieu à vingt-huit contrats et avenants successifs. »

Elle conclut à l’existence d’un abus.

Elle indemnise après avoir rappelé les règles de fixation de l’indemnité de licenciement en cas de rupture d’un contrat à durée indéterminée, pour les agents non titulaires de la fonction publique hospitalière dans des proportions légèrement supérieures au calcul arithmétique de cette indemnité, à hauteur de 4.000 euros, au titre de la perte de l’avantage financier auquel l’agent aurait pu prétendre en cas de licenciement si elle avait été employée dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée, outre 2.500 euros au titre du préjudice moral.

Cour administrative d’appel de Nancy 3ème chambre – formation à 3 : 2 juillet 2015 n° 14NC00325

-2- Dans une affaire évoquée le 2 juillet 2015, la Cour Administrative d’Appel de NANCY, appliquant la même grille lecture, estime qu’il n’existe pas d’abus au regard des circonstances de l’espèce :

« Après avoir bénéficié durant deux ans d’un contrat d’accompagnement à l’emploi, la requérante a exercé les fonctions d’agent des services hospitaliers dans quatre services de l’établissement pour assurer des remplacements, sous couvert de six contrats à durée déterminée successifs, pour la période du 12 décembre 2007 au 11 septembre 2008, puis du 12 mars 2009 au 11 mars 2012 ; que dans les circonstances de l’espèce, le centre hospitalier ne peut être regardé comme ayant recouru abusivement à une succession de contrats à durée déterminée »

Cour administrative d’appel de Marseille 9ème chambre – formation à 3 13 juillet 2016  n° 14MA01848

-3- Dans une affaire évoquée le 13 juillet 2016, la Cour Administrative d’Appel de MARSEILLE juge que la situation d’un agent ayant « exercé des fonctions d’agent d’entretien puis agent ou adjoint des services techniques au sein du service de la restauration scolaire du SIST puis de la communauté de communes des Aspres de manière quasi-continue entre le 1er janvier 1998 et le 12 février 2010, et que ces fonctions ont donné lieu à trente arrêtés successifs sur cette durée de plus de 12 ans. » caractérise bien un abus engageant la responsabilité de l’administration au moment de l’interruption de l’engagement.

Il est à noter que l’administration tentait, dans cette affaire, de limiter sa responsabilité en invoquant la faute de la victime qui avait pris l’initiative de la rupture du contrat. La Cour écarte cependant l’argument en notant que cette rupture de l’agent faisait suite à « une diminution importante du temps de travail de l’intéressée, lequel devait passer de 13 à 8 heures hebdomadaires » qui au regard du changement substantiel des conditions d’emploi intervenu, était dépourvue de tout caractère fautif de nature à exonérer l’employeur de sa responsabilité.

Elle indemnise sur la base exacte du montant de l’indemnité de licenciement si l’agent avait été engagé par contrat à durée indéterminée, au titre de la « perte de l’avantage financier auquel l’agent aurait pu prétendre en cas de licenciement si elle avait été employée dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée » soit 2731 euros (la rémunération de base étant de 450 euros) outre 3500 euros au titre du préjudice moral.

Cour administrative d’appel de Marseille 7ème chambre – formation à 3 ; 30 mars 2018 n° 16MA03170

-4- Dans une autre affaire, la même Cour administrative de MARSEILLE retient également la responsabilité de l’employeur, la Commune de GRASSE dont l’agent :

«… a exercé des fonctions d’assistant qualifié de conservation non titulaire au sein du service ” bibliothèque et médiathèque ” de la commune de Grasse de manière continue entre le 6 mai 2008 et le 30 septembre 2014, et que ces fonctions ont donné lieu à neuf contrats successifs à durée déterminée, dont certains pour des périodes de trois à six mois, sur cette durée de plus de six ans, afin prétendument de remplacer du personnel titulaire momentanément indisponible alors que, comme mentionné au point 6, ce recrutement ne pouvait être regardé comme une mesure temporaire »

Elle indemnise sur la base exacte de l’indemnité de licenciement, au titre de la « perte de l’avantage financier auquel l’agent aurait pu prétendre en cas de licenciement si elle avait été employée dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée » soit 4 313 euros (la rémunération de base étant de 1 437,36 euros) outre 2.000 euros au titre du préjudice moral et troubles dans les conditions d’existence.

Cour administrative d’appel de Bordeaux  3ème chambre (formation à 3) ; 24 mai 2018  n° 16BX01184

-5- Dans un arrêt du 24 mai 2018, la Cour Administrative d’Appel de BORDEAUX retient également la responsabilité de la Commune de PAU pour avoir employé un agent ayant « exercé les fonctions de gardien des installations sportives pour le compte de la commune de Pau sous couvert de contrats successifs à durée déterminée d’août 1996 à juin 2013, et a ainsi occupé pendant presque 17 années consécutives un emploi répondant à un besoin permanent de la commune. »

Elle indemnise l’agent à hauteur de 10.000 euros au titre de la « perte de l’avantage financier auquel l’agent aurait pu prétendre en cas de licenciement si elle avait été employée dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée », ce qui est légèrement inférieur au calcul arithmétique de l’indemnité de licenciement qui serait due sur la base de la dernière rémunération (1 423,74 euros) outre 4.000 euros au titre du préjudice moral.

Cour administrative d’appel de Marseille ;7ème chambre – formation à 3 ; 25 janvier 2019  n° 17MA03002

-6- C’est à nouveau la ville de GRASSE qui était dans le collimateur de la Cour de MARSEILLE dans une nouvelle décision du 25 janvier 2019. La Cour retenait la responsabilité de la Commune en présence d’un agent ayant « exercé ses fonctions au sein des services de la commune de Grasse de manière continue entre le 3 septembre 2007 et le 28 février 2015. Il était ” responsable du service Espace culturel Altitude 500 ” depuis le 1er octobre 2011. Ses fonctions ont donné lieu à huit contrats successifs à durée déterminée, pour des périodes d’un an ou inférieures à un an, sur cette durée de plus de sept ans, afin prétendument de remplacer du personnel titulaire momentanément indisponible alors que, comme mentionné au point 8, ce recrutement ne pouvait être regardé comme une mesure temporaire. »

Sur la base d’une dernière rémunération nette s’élevant à 1.385 euros, l’agent est indemnisé à hauteur de 4.847 euros au titre de la « perte de l’avantage financier auquel l’agent aurait pu prétendre en cas de licenciement si elle avait été employée dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée », soit l’équivalent de l’indemnité de licenciement outre 1.000 euros au titre du préjudice moral.

Cour administrative d’appel de Paris 4ème chambre 26 juin 2019 n° 18PA01755

-7- La Cour Administrative d’Appel de PARIS, statuant après renvoi de l’arrêt du Conseil d’Etat du 20 mars 2018 retenait logiquement la responsabilité de la Commune de LAGNY pour abus de contrats à durée déterminés en ces termes :

« Il résulte de l’instruction que M. E..a exercé des fonctions polyvalentes d’agent d’entretien au sein de la commune de Lagny-sur-Marne de manière ininterrompue du 1er janvier 2000 jusqu’au 21 octobre 2011. Si la commune fait valoir que ces fonctions ont été exercées en remplacement d’agents indisponibles, elles ont toutefois donné lieu à cinquante-six contrats successifs ».

La Cour indemnise l’intéressé à hauteur de 7 656 euros soit : (dernière rémunération nette : 696 euros X nombre d’année de service :11) Ce mode de calcul relativement favorable à l’agent au regard des règles habituellement appliquées, s’explique probablement par le fait qu’avant même de bénéficier de contrats de droit public, l’agent avait été engagé pendant plusieurs années sur la base de contrats emploi solidarité.

Outre 1.000 euros au titre du préjudice moral.

Cour administrative d’appel de Versailles 5ème chambre 28 mars 2019 n° 16VE03427

-8- Enfin dernière décision publiée en date, la cour administrative d’Appel de VERSAILLES a également retenu la responsabilité de la Commune de SARCELLE dans une affaire où elle avait engagé un agent d’entretien « entre le 4 octobre 1993 au 30 juin 2004. Si la commune fait valoir que ces fonctions ont été exercées en remplacement d’agents indisponibles ou autorisés à travailler à temps partiel, elles ont donné lieu à vingt contrats successifs ».

Elle est indemnisée forfaitairement à hauteur de 6.000 euros au titre de la « perte de l’avantage financier… » le dernier salaire brut s’élevant à la somme de 1 539 euros. Outre 2.500 euros au titre du préjudice moral.

L’originalité de cette dernière affaire réside dans le fait que la requérante a attendu pratiquement 10 ans pour saisir le tribunal.

Si elle avait agi immédiatement, sa demande aurait été définitivement rejetée par le juge administratif… sur la base de la jurisprudence antérieure.

Un exemple remarquable de stratégie judiciaire !

prise en compte des trajets dans le temps de travail

Cette question a été tranchée par la Cour Administrative de MARSEILLE en 2013, dont la solution paraît toujours d’actualité : Les discussions récurrentes opposant agents (notamment DUMISTES) et collectivités sur ce point nous amènent à rappeler le commentaire que nous avions publié à l’époque :

Un arrêt rendu le 7 mai 2013 par la Cour Administrative d’Appel de MARSEILLE vient, fort à propos, apporter plusieurs précisions sur les modalités d’organisation et de rémunération du temps de travail, notamment dans les structures qui dispensent un enseignement sur plusieurs sites.
Les questions posées à la cour portaient sur :
– La rémunération du temps de trajets d’un lieu de travail à un autre ;
– La prise en compte du temps de pause obligatoire ;
– la mise en cause par le fonctionnaire d’une mesure de réorganisation du service lui imposant des trajets supplémentaires ;

La requérante était une assistante territoriale d’enseignement artistique employée, en qualité de titulaire par le syndicat intercommunal pour la gestion du personnel des écoles de musique des Alpilles.

Chargée de l’enseignement du violoncelle dans le cadre d’un emploi à temps complet de 20 heures hebdomadaire, elle devait dispenser un enseignement sur 4 sites différents : Arles, Tarascon, Saint Remy de Provence et Saint Martin de Crau.

Les frais et les temps de déplacement hebdomadaires étaient donc particulièrement importants.

Il s’agit d’une situation fréquente pour les enseignants recrutés par des structures intercommunale ou départementales qui doivent faire de nombreux kilomètres pour se rendre d’un site à l’autre; cela pour effectuer un nombre d’heures relativement faible, particulièrement lorsqu’ils enseignent un instrument « rare », ou, en tout cas, autre que le piano, la guitare ou la formation musicale…

C’est pourquoi l’enseignante déposa une requête auprès du tribunal administratif de Marseille.

Celui-ci rejeta l’ensemble de ses demandes.

L’enseignante fît appel.

Bien lui en pris car la Cour prêta une oreille plus attentive à ses arguments: